Après les élections municipales et par conséquent les élections métropolitaines ou communautaires qui ont suivi, nous avons décidé d’aller à la rencontre des élus chargés de l’habitat et de la politique de la ville pour faire un point avec eux sur leur feuille de route pour la mandature qui vient. Certains sont nouveaux, d’autres reconduits, d’autres encore se partagent l’habitat, la rénovation urbaine ou la politique de la ville. Premier rendez-vous avec Frédéric Guinieri, vice-président de la métropole Aix-Marseille-Provence.
Frédéric Guinieri a été élu en juillet vice-président de la métropole Aix-Marseille-Provence, chargé de l’habitat et de l’habitat indigne. Que ce soit pour l’élaboration du PLH, pour la relance de la production de logements sociaux ou pour la réhabilitation des immeubles dégradés du centre-ville de Marseille, il prône inlassablement le dialogue, l’échange, le faire ensemble. Et l’établissement de règles claires et d’outils simples, comme l’harmonisation du seuil déclencheur de logements sociaux dans les opérations collectives ou l’utilisation de servitudes de mixité sociale.
En tant que nouveau vice-président de la métropole AMP chargé de l’habitat, quelle sera votre priorité ?
Pour ce qui concerne la politique de l’habitat, l’urgence est la remise en route du PLH. Il doit être approuvé avant la fin de l’année 2021. Au regard des années précédentes, il fixe des objectifs tout à fait atteignables de 12 000 logements neufs par an dont 5 000 logements à loyer modéré.
Vous savez que de nombreux maires ont des réticences à produire du logement social sur leur territoire…
Je le sais bien mais les choses évoluent. Mon parcours, politique et professionnel, m’a permis de bien connaître les maires du territoire et ils connaissent ma démarche. Il faut continuer à expliquer que, compte tenu de la tension du marché, ce sont des logements, souvent de grande qualité, pour leurs habitants, leurs actifs, leurs jeunes, leurs seniors.
Les élus sont tous d’accord pour admettre qu’il faut fabriquer du foncier abordable pour les entreprises. Que l’argent public puisse servir à fabriquer ce foncier « économique » ne choque personne. Pourquoi ne pas adopter la même approche vis-à-vis du logement ? C’est juste un problème culturel. Il est temps que les communes se mettent à fabriquer ce foncier pour toutes les composantes du logement, et notamment social à laquelle près des deux tiers de la population sont éligibles. La part du logement dans les dépenses des ménages est devenue très importante. Il faut donc produire une offre adaptée.
Pour moi, le logement ne devrait pas être une affaire politicienne. Il faudrait instaurer un pacte de non-agression autour de cette question. Tous les élus, quelle que soit leur sensibilité, devraient arrêter de s’invectiver sur ce sujet. Le logement doit faire l’objet d’un consensus, il faut impérativement augmenter l’offre abordable adaptée à la demande de nos habitants. J’aimerais qu’un vrai débat s’instaure entre les maires pour valider ce pacte de non-agression.
Mais au-delà d’un pacte de ce type, il faut bien une réelle volonté de construire…
Il y a deux leviers essentiels qu’il va falloir activer. Sinon, les communes ne rattraperont jamais leur retard. Même si je pense que de relever le taux de 20 à 25 % n’a pas été la meilleure idée.
Lorsque vous voulez construire du logement social dans une commune, vous ne pouvez agir que sur le collectif, en imposant des quotas, puisqu’il ne faut pas compter sur la construction individuelle. C’est la commune qui décide de ce seuil déclencheur dans son PLU. Peut-être que l’Etat aurait dû être plus vigilant sur ce sujet. Le seuil déclencheur de ce quota doit être le plus bas possible. Il faut tirer un bilan de ce qu’ont mis en place certaines communes très volontaristes et s’en inspirer pour harmoniser les dispositions entre les communes, selon leur taille.
Le deuxième concerne les servitudes de mixité sociale. De nombreuses communes en ont créé dans leur PLU. Il faut des règles claires en réfléchissant bien au taux de logements à loyer modéré à établir. Sans ces deux leviers, il ne sera pas possible d’avoir une véritable chaîne du logement.
La Métropole doit pouvoir connaître, dans chaque commune soumise à la loi SRU, la part annuelle de logements sociaux par rapport à la totalité des permis délivrés. C’est un très bon moyen d’évaluation de la volonté des maires.
Quel message voudriez-vous faire passer aux organismes Hlm ?
Je voudrais qu’un vrai dialogue puisse exister entre les bailleurs sociaux et les maires. Que chacun comprenne les contraintes de l’autre. On pointe souvent l’absence de volonté des maires. Elle peut être réelle dans certains cas, mais d’une façon générale les maires ont de vraies difficultés. Il faudrait pouvoir discuter entre nous de façon simple et décomplexée, en toute sincérité. Et ainsi retisser le partenariat. Cela devra se faire très concrètement par des rencontres, des échanges, des réflexions communes sur des sujets concrets. Il s’agit de bâtir ensemble les projets, d’identifier ensemble les vrais problèmes et trouver ensemble les solutions.
Concernant l’habitat indigne, la situation à Marseille reste très préoccupante, avec plus de 4 000 personnes délogées depuis près de deux ans et 40 000 logements « potentiellement indignes » selon le rapport Nicol de 2015. Quelle va être votre feuille de route ?
Les problématiques d’habitat indigne se posent malheureusement partout, mais à Marseille, il est vrai, la situation est préoccupante. Un tel chantier ne pourra être mené que si tout le monde est autour de la table pour optimiser l’efficacité de l’action et maîtriser au mieux les coûts : maîtres d’ouvrages, architectes, bureaux d’études, entreprises du bâtiment, artisans, financiers… Il va falloir développer un savoir-faire collectif spécifique compte tenu de l’ampleur de la tâche.
Il va aussi falloir très vite donner des signes d’actions et de décisions. Une société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLA-IN) vient tout juste d’être créée pour intervenir sur l’hyper centre marseillais. Ce sera à elle de porter l’ensemble des interventions nécessaires pour le renouveau du centre-ville. Elle devra réhabiliter mais aussi gérer les problématiques de relogement, assurer l’accompagnement social, acquérir des immeubles, mener les travaux, requalifier les espaces publics, amener des équipements… Un travail ambitieux de très longue haleine.
La métropole est l’actionnaire majoritaire de cette SPLA. Vous en êtes un administrateur. Comment voyez-vous les choses ?
Ce qui est évident, c’est qu’un dialogue et un partenariat entre tous les acteurs concernés est indispensable. Y compris avec les collectifs d’habitants et les associations qui se sont créés autour de cette problématique de l’habitat indigne.
Quel est l’objectif en matière d’habitat indigne ? Il s’agit bien de faire pression sur les propriétaires pour qu’ils respectent les conditions du bail qu’ils ont signé avec leurs locataires. C’est quand même le minimum. Mais quand ils poussent le bouchon trop loin, la puissance publique peut se substituer à eux pour réaliser des travaux d’urgence. Il faut le faire. Mais il faut des moyens financiers et opérationnels pour cela.
D’une façon générale, comment intéresser les bailleurs sociaux à cette réhabilitation ? Comment les faire venir sur ce chantier du centre ancien ?
C’est vrai que ce type d’opération complexe n’est pas ce qui les attire le plus. Il faut trouver les conditions pour qu’ils puissent intervenir avec leur savoir-faire. Sinon, ce n’est pas la peine de déclarer qu’on veut transformer un « parc social de fait » en « parc social public ».
Si on revient à la production annuelle de logements sociaux, on s’aperçoit que les PLS sont en nombre assez important par rapport aux PLAI ou PLUS. N’y a-t-il pas là un problème ?
On autorise sur le territoire des 92 communes de la Métropole un peu plus de 12 000 logements par an depuis 2011. Depuis 2016, la part de logements à loyer modéré est de 31 % alors qu’elle était de 22 % entre 2011 et 2015. Il y a donc une évolution positive. Cependant, ces trois dernières années, les PLS représentent 44 % de la production sociale. Cela ne correspond pas vraiment au profil des ménages demandeurs. Il va falloir mieux répondre à la réalité économique et sociale.
On voit apparaître depuis quelques temps des OFS, des organismes fonciers solidaires, qui pourraient être une solution à cet obstacle du foncier cher. Qu’est-ce que vous en pensez ?
C’est une très bonne chose pour l’accession sociale et particulièrement en collectif. D’autant que ces logements seront pris en compte dans la détermination du quota de logements sociaux sur la commune. Les maires doivent s’intéresser à ce produit et à la création des OFS.
BIO
- Frédéric Guinieri est ingénieur des Travaux Publics de l’Etat (1982) et ingénieur en chef de la fonction publique territoriale (2007)
- Après un bref passage au CETE Méditerranée, il rejoint la DDE de la Guadeloupe en 1983 où il s’occupe de transports, puis d’urbanisme, de logements sociaux et de résorption d’habitat insalubre. Il y est aussi chargé de mission de sécurité routière.
- Après trois ans sur l’aéroport Marseille Provence, il rejoint la DDE des Bouches-du-Rhône en 1995 comme adjoint au chef du service Habitat et délégué départemental adjoint de l’Anah. A la même date, il est élu maire de Puyloubier, près d’Aix-en-Provence. Il est réélu à chaque scrutin depuis.
- Fin 1998, il devient conseiller technique pour l’aménagement, l’urbanisme et l’habitat au Conseil départemental 13. Il y reste jusqu’à aujourd’hui.
- En 2001, il est élu vice-président de la communauté d’agglomération du Pays d’Aix, chargé de l’habitat, puis de l’aménagement, de la planification et du foncier.
- Conseiller de la métropole Aix-Marseille-Provence depuis 2016, il est élu en juillet 2020 vice-président chargé de l’habitat et de l’habitat indigne.